VÉGÉTALISER POUR LA PLANÈTE
D'après le rapport du cabinet Carbone 4, fondé par Jean-Marc Jancovici (auteur, conférencier, spécialiste reconnu sur les questions d’énergie et de changement climatique, membre du Haut Conseil pour le Climat), l'action individuelle la plus efficace pour lutter contre le réchauffement climatique est de végétaliser son alimentation (Carbone 4, 2019)¹.
L'élevage a, en effet, de nombreux impacts sur la planète :
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RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
Les activités humaines que sont l’élevage et la consommation de produits animaux ont une responsabilité énorme dans le réchauffement climatique. Selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), 14,5 % des émissions de Gaz à effet de serre (ges) sont liées à l’élevage (FAO, 2013)², soit plus que toutes les émissions directes du secteur des transports. Au niveau français, l’élevage et l'alimentation des animaux d’élevage sont responsables de 15 % des émissions de GES (I4CE, 2022)³, soit plus que les secteurs de la production d’électricité et de la gestion des déchets réunis (Haut Conseil pour le climat, 2022)⁴.
D’après la Cour des comptes, 65 % des émissions de méthane françaises sont liées au secteur agricole, dont 87 % à l’élevage bovin (Cour des comptes, 2022)⁵. Une situation dramatique lorsque l'on sait que, sur une échelle de cent ans, le méthane a un pouvoir réchauffant 28 fois plus élevé que le CO2 !
Il ne faut pas se voiler la face : il sera impossible d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris si l’on poursuit le niveau actuel de production et de consommation de produits d’origine animale… car cela impliquerait que tous les autres secteurs (industrie, transport, énergie, etc.) puissent réduire par quatre leurs émissions de GES d’ici 2050, ce qui est complètement irréaliste ! (Clark et al., Science, 2020)⁶
87 % des émissions de méthane françaises proviennent de l’élevage bovin.
Passer d’un régime carné à un régime végétarien représente une baisse d’environ 10 % de l’empreinte carbone totale d’un individu (Carbone 4, 2019)⁷.
Lorsque l'on regarde le seul secteur de l'alimentation, les chiffres sont éloquents : les produits animaux représentent 75 % des émissions de gaz à effet de serre liées à l'alimentation des Français (Ademe, 2021)⁸. Pour une production alimentaire à masse égale, les émissions mondiales de GES provenant des aliments d'origine animale sont deux fois plus importantes que celles provenant des aliments d'origine végétale (Xu et al., Nat. Food, 2021)⁹.
À titre individuel, l'adoption d'une alimentation végétale permet de réduire de 84 % l'émission de GES par rapport à une alimentation carnée. (Burke et al., Res. Env. and Sustainability, 2023)¹⁰. Cela paraît incroyable et pourtant manger 100 % végétal un jour dans la semaine a autant d’effet que de manger local toute l’année ! (Weber et al., Env. Sci. Tech., 2008)¹¹
L'action individuelle la plus efficace pour la planète est de végétaliser son alimentation ; alors, qu’attendons-nous pour mettre nos assiettes et notre agriculture en cohérence avec nos objectifs climatiques ?
DÉFORESTATION
L’élevage est responsable de 63 % de la déforestation en Amazonie (World Bank, 2004)¹². Dans le monde, en 30 ans, 420 millions d'hectares ont été déforestés, soit l’équivalent de la superficie de l’Union européenne ! (FAO, 2020)¹³ La déforestation concerne surtout l’Amazonie, le Congo et l’Asie du Sud-Est.
Les deux principales raisons de la déforestation sont :
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Le pâturage des bovins dans les zones concernées. 41 % de la déforestation mondiale est liée au pâturage des ruminants (Pendrill et al., Env. Res. Lett., 2019)¹⁴
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Le remplacement de la forêt par la culture de végétaux. 50 % de la déforestation mondiale est liée aux cultures en partie destinée à l’alimentation animale. Par exemple, 76 % de la production mondiale de soja est consacrée à nourrir les animaux d’élevage : c’est considérable ! (Our World in Data, 2021)¹⁵
C'est le volume moyen de "soja caché" dans la viande, que consomme chaque année un Européen (WWF, 2022)¹⁶.
61 kg
Et les
poulets ?
Lorsque l’on parle de l’impact de l’élevage sur la planète, il ne faut pas uniquement raisonner en termes de viande bovine : l’alimentation des oiseaux d’élevage (poules, poulets, dindes…) est constituée pour moitié de tourteaux de soja importés (I4CE, 2023)¹⁷.
L’élevage français est donc en partie responsable de la déforestation de l’Amazonie puisque chaque année 3,2 millions de tonnes de tourteaux de soja pour l'alimentation des animaux d'élevage sont importées, dont 60 % provenant du Brésil mais aussi des États-Unis et de l'Argentine (Chaire bien-être animal, 2022)¹⁸.
Ni la France ni l’Europe ne sont autonomes dans la production de ce type d’aliment. En effet, l’Union européenne importe 70 % des oléo-protéagineux, principalement du soja, destinés à l’alimentation animale ! (INRA, 2016)¹⁹
Pour un nombre croissant de scientifiques à travers le monde, si l’on veut se donner une chance d’inverser la courbe de la déforestation, il faut réduire drastiquement la consommation de produits d’origine animale en les remplaçant par des alternatives végétales. À l'échelle mondiale, une diminution par deux de la consommation de viande libérerait 12 % de la superficie agricole, soit treize fois la superficie de la France... (Kozicka et al., Nat. Com., 2023)²⁰.
Outre son effet dévastateur sur le climat, la déforestation a un impact majeur sur la perte de biodiversité.
ATTEINTE À LA RESSOURCE EN EAU
L’élevage engloutit l’eau à une vitesse folle.
Le système alimentaire mondial est à l’origine de 70 % de l’utilisation mondiale d’eau douce (OCDE, 2019)²¹.
En France, l’agriculture est le premier secteur consommateur d’eau (2,38 milliards de m³ par an). C’est plus que le bâtiment et les travaux publics, plus que l’industrie, plus que le nucléaire, plus que la consommation humaine… Bref, 58 % de l’eau consommée en France est liée à la production agricole, et une majeure partie de cette eau est consacrée à la production de la viande (Assemblée nationale, 2023)²².
Pourquoi la production de produits animaux est-elle si consommatrice d’eau ?
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Il faut donner à boire aux animaux. En France, 360 millions de m3 / an d'eau par an sont destinés à l'abreuvement des animaux. Quand on sait qu'une vache en lactation boit 140 litres d’eau par jour – un humain en boit 2 litres – (Réussir, 2022)²³, on prend vite conscience du gaspillage de ressources que constitue l'élevage.
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Il faut laver les installations et les équipements. En France, 990 millions de m3 / an sont destinés à laver les bâtiments d'élevage. Les abattoirs sont également de gros consommateurs d'eau puisque l'on estime qu'il faut environ 355 litres d'eau pour chaque cochon mis à mort (IFIP, 2010)²⁴.
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Mais surtout, il faut énormément de végétaux pour produire de la viande, bien plus qu’il n’en faut pour nourrir directement les humains ! En moyenne, pour obtenir 1 kg de viande il faut 3 kg de végétaux (Mottet et al., Glob. Food Sec., 2017)²⁵. Or les cultures destinées à l’alimentation animale sont très gourmandes en eau : à titre d’exemple 85 % des surfaces en maïs sont destinées à l'alimentation des animaux d’élevage. Or le maïs concerne 1/3 des surfaces agricoles irriguées.
En moyenne, il faut 7 900 litres d'eau pour obtenir 1 kg de protéines carnées contre 4 650 litres pour 1 kg de protéines végétales (Mekonnen et Hoekstra, Ecosystems, 2012)²⁶.
Passer d’un régime carné à un régime végétal revient ainsi à économiser 24 000 litres d’eau par an et par personne !
POLLUTION
L’élevage est responsable en grande partie des pollutions des sols, des forêts, des nappes phréatiques et des milieux aquatiques. Mais d'où vient cette pollution ?
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Les grandes cultures (céréales, maïs, tourteaux de soja) servant à l’alimentation des animaux sont de grosses utilisatrices de pesticides et d’engrais.
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Dans les élevages, les animaux sont exposés aux produits chimiques, aux médicaments vétérinaires ainsi qu’aux antibiotiques. Certaines molécules se retrouvent dans l’environnement sous forme de micropolluants.
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Selon les filières animales, entre 3 % et 22 % des animaux meurent dans les élevages. Les cadavres en décomposition dégagent des agents pathogènes et des gaz pouvant se retrouver dans le milieu naturel avant d’être pris en charge par les services d’équarrissage.
© L.Le Saux - SIPA
Mais surtout, l’élevage produit des tonnes et des tonnes de lisier. Les déjections des animaux sont fortement polluantes, notamment du fait des grandes quantités de nitrate et d’ammoniac qu’elles comportent. En s’infiltrant dans la terre, ces particules mettent en péril les réserves d’eau potable. En effet, une teneur trop importante en nitrate rend l’eau impropre à la consommation (comme ce fut le cas dans certaines zones de Wallonie par exemple).
Pollution au nitrate
Les émissions de nitrate sont responsables de l'eutrophisation des milieux aquatiques, forme de pollution se produisant lorsqu’un milieu reçoit trop de matières nutritives assimilables par les algues et que celles-ci prolifèrent (CNRS, 2011)²⁷.
L'un des exemples les plus connus est celui des « marées vertes » en Bretagne. Les rejets massifs des activités agricoles dans l'environnement ont en effet provoqué l'eutrophisation des milieux aquatiques et le développement des algues vertes dans la région.
L'eutrophisation et le réchauffement climatique contribuent grandement au développement des zones mortes dans l’océan ; des zones caractérisées par un manque d’oxygène de 20 % à 50 %. Ces espaces menacent la vie des animaux aquatiques qui y vivent. On dénombre plus de 400 zones concernées, soit l’équivalent de la superficie du Royaume-Uni.
Pollution à l'ammoniac
En France, on estime que 75 % des émissions d'ammoniac sont liées à l’élevage (Citepa, 2013)²⁸. Or ce gaz, en se dissolvant dans l'eau, est l'un des principaux responsables des pluies acides. Ces pluies perturbent les milieux naturels : la flore développe des maladies, devient stérile voire en meurt. En tombant dans l’eau, ces pluies les rendent toxiques pour certains poissons. Pour faire face à ce phénomène intrinsèquement lié à l’élevage, les Pays-Bas ont décidé de réduire drastiquement le nombre d’exploitations agricoles, notamment celles qui sont situées à proximité de sites protégés. Trois mille fermes hollandaises sont concernées par cette mesure.
En France, on estime que 75 % des émissions d'ammoniac sont liées à l’élevage !
L’EFFET “PUIT DE CARBONE” EN QUESTION
“L’élevage herbivore français est l’un des seuls secteurs, avec la forêt et l’agriculture, capable de compenser une partie de ses émissions. Les 13 millions d’hectares de prairies et parcours sur lesquelles pâturent les bovins constituent les principaux puits de carbone” a indiqué Interbev dans un communiqué en date du 25 septembre 2023. Mais qu’en est-il réellement ?
Un puit de carbone est un espace naturel, comme une prairie ou une forêt, qui absorbe plus de CO2 qu'il n'en émet. Il stocke sous une autre forme ou détruit ce gaz et l'empêche de se propager dans l'atmosphère.
Dès lors, la question se pose : est-ce qu’une prairie destinée à l’élevage absorbe plus de GES que les animaux n’en émettent ? La réponse des scientifiques est unanime : NON !
Le scénario Afterres2050 estime que la conversion en culture d'une prairie avec une vache laitière augmente les émissions de carbone d'une tonne par an (puisque la prairie ne stocke plus). Mais, dans le même temps, les émissions liées à la disparition de la vache baissent de trois tonnes ! Ce constat fait dire à la Cour des comptes que “Le bilan de la disparition d’une vache est largement positif du point de vue des émissions de GES” par rapport à l'effet puit de carbone d'une prairie pâturée.
Les calculs sont compliqués car le pouvoir d'absorption du CO2 dépend de l’âge de la prairie, de son exposition, de la météo (chaleur et précipitations), de sa composition (possède-t-elle des arbres ? des haies ?) et de sa gestion (densité de pâturage, rotation avec des cultures...). Énormément de facteurs qui font dire à l’INRAE que le stockage carbone dans le sol est très incertain et très instable. D'après l'institut, les avantages du « Carbon farming » ne résident pas dans le stockage du CO2 mais dans l'amélioration de la qualité et de la fertilité des sols. Un constat corroboré par une étude de l'Institut de l'élevage et de l’INRA (J-B. Dollé et al., Fourrages, 2013)²⁹ qui indique que les prairies ne pourraient stocker au mieux que 3,8 millions de tonnes de carbone, ou 14 millions de tonnes équivalent CO2, soit 4,5 % des émissions de GES françaises. Autrement dit, les prairies en France séquestrent presque trois fois moins de CO2 que ce qui est émis par les animaux qui pâturent dessus ! D'après le Food Climate Research Network d'Oxford, à l’échelle mondiale, les prairies ne stockent au mieux que 30 % des émissions des bovins qui pâturent dessus (FCRN, 2017)³⁰.
La production et la consommation de produits animaux ont un impact considérable sur la planète. Et nous le savons. Il ne tient qu’à nous d’agir, et vite !
[1] Carbone 4, “Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’état face à l’urgence climatique”, Dugast César, et Alexia Soyeux (2019). ⬆
[2] FAO, Tackling Climate Change Through Livestock: A Global Assessment of Emissions and Mitigation Opportunities, Rome : Food and Agriculture Organisation of the United Nations (2013). ⬆
[3] I4CE, “Non la consommation de viande ne baisse pas”, Rossigart Lucile, et Claudine Foucherot (2022). ⬆
[4] Haut Conseil pour le climat, “Dépasser les constats mettre en oeuvre les solutions” (2022). ⬆
[5] Cour des comptes, “Le soutien public aux éleveurs de bovins”, p. 69 (2022). ⬆
[6] M. A. Clark, N. G. G. Domingo, K. Colgan et al., Global food system emissions could preclude achieving the 1.5° and 2°C climate change targets, Science, 370, 705-708 (2020). ⬆
[7] Carbone 4, “Faire sa part ? Pouvoir et responsabilité des individus, des entreprises et de l’état face à l’urgence climatique”, Dugast César et Alexia Soyeux (2019). ⬆
[8] Ademe, Nos Gestes Climat (consulté le 3/1/2024) (2021). ⬆
[9] X. Xu, P. Sharma, S. Shu et al., Global greenhouse gas emissions from animal-based foods are twice those of plant-based foods. Nature Food, 2, 724–732 (2021). ⬆
[10] D. T. Burke, P.l Hynds and A. Priyadarshini, Quantifying farm-to-fork greenhouse gas emissions for five dietary patterns across Europe and North America: A pooled analysis from 2009 to 2020, Resources, environment and sustainability, 12, (2023). ⬆
[11] C. L. Weber, H. S. Matthews, Food-Miles and the Relative Climate Impacts of Food Choices in the United States, Environmental Science & Technology, 42, 10, 3508–3513 (2008). ⬆
[12] World Bank, Causes of Deforestation of the Brazilian Amazon. World Bank Working Paper; No. 22. © Washington. License: CC BY 3.0 IGO (2004). ⬆
[13] FAO, Global Forest Resources Assessment 2020: Main report. Rome (2020). ⬆
[14] F. Pendrill, U M. Persson, J. Godar et al., Deforestation displaced: trade in forest-risk commodities and the prospects for a global forest transition Environmental Research Letter, 14, 055003 (2019). ⬆
[15] Our World in Data, “Is our appetite for soy driving deforestation in the Amazon ?” Annah Richtie (2021). ⬆
[16] WWF, Hidden Soy (2015). ⬆
[17] I4CE, ”Réduction de la consommation de viande : des politiques publiques bien loin des objectifs de durabilité”, Rossigart Lucile, p. 6 (2023). ⬆
[18] Chaire bien-être animal, “En France, les animaux d’élevage sont nourris avec du soja issu de la déforestation, VRAI ou FAUX?” (2022). ⬆
[19] INRA, “Rôles, impacts et services issus des élevages en Europe”, Bertrand Dumont et Pierre Dupraz INRA (France), 1032 pages, p. 27 (2016). ⬆
[20] M. Kozicka, P. Havlík, H. Valin, et al., Feeding climate and biodiversity goals with novel plant-based meat and milk alternatives, Nature Communication, 14, 5316 (2023). ⬆
[21] OCDE, Environmental Performance of Agriculture in OECD countries since 1990 : 6. Water (use and quality) (2019). ⬆
[22] Assemblée nationale, Rapport d’information de la commission des affaires économiques sur la gestion de l’eau pour les activités économiques, P. Perrot et R. Pilato (2023). ⬆
[23] Réussir, « Une vache a besoin de boire jusqu’à 140 litres d’eau par jour », F. Mechekour (2022). ⬆
[24] IFIP, Institut du porc, Consommation d’eau et d’énergie en abattoir-découpe de porcs : caractérisation des situations actuelles dans 8 outils. Techni Porc (FRA), vol. 33, n° 2, mars-avril, p. 7-15 (2010) ⬆
[25] A. Mottet, C. de Haan, A. Falcucci et al., Livestock: On our plates or eating at our table? A new analysis of the feed/food debate, Global Food Security, 14, 1-8 (2017). ⬆
[26] M. M. Mekonnen and A. Y. Hoekstra, 2012. A Global Assessment of the Water Footprint of Farm Animal Products, Ecosystems, 15, 401-415 (2012). ⬆
[27] CNRS, Site du Centre National de la Recherche Scientifique – L’eutrophisation (2011). ⬆
[28] Citepa, Ademe, IFIP, ITAVI, IDELE, Analyse du potentiel de 10 actions de réduction des émissions d'ammoniac des élevages français aux horizons 2020 et 2030, E. Martin et E. Mathias (2013). ⬆
[29] J.-B. Dollé, P. Faverdin, J. Agabriel et al., Contribution de l’élevage bovin aux émissions de GES et au stockage de carbone selon les systèmes de production, Fourrages, 215, 181-191 (2013) ⬆
[30] FCRN, Université d’Oxford, Grazed and confused? Ruminating on cattle, grazing systems, methane, nitrous oxide, the soil carbon sequestration question – and what it all means for greenhouse gas emissions. T. Garnett, C. Godde, A. Muller et al. (2017). ⬆